War Game : oeuvre non localisée

2002

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En 1992, compte tenu de mes recherches et de mon travail qui depuis 1986 prennent en compte les traces laissées par les guerres en Champagne ,la Ville de Reims et la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Champagne-Ardenne me demandent de proposer un projet pour la salle de REDDITION à REIMS où dans la nuit du 7 au 8 mai 1945 a été signée la fin de la seconde guerre mondiale. Un courrier accompagnait cette demande en précisant " La réalisation d'une oeuvre actualisant l'esprit du lieu (...) à la fois en tenant compte de l'horreur et de la dérision d'une guerre, mais aussi en approuvant l'évolution de l'Allemagne réunifiée et de son intégration dans l'Europe en construction"

En janvier 1993 après avoir soumis plusieurs propositions, le conservateur du lieu Madame Véronique Alemany-Dessaint soutenu par la Direction Régionale des Affaires Culturelles me demandent d'après mes dessins et maquettes de réaliser une installation pour une durée de deux ans: la reconstitution grandeur nature de la table de la signature en béton armé portant en creux les empreintes d'armes jouets le tout est peint rose vif, des fers à béton apparaissent surla surface . Cette table bis devait être installée dans une salle jumelle et servir de pendant à la salle historique (un peu figé dans son passé).

J'ai reçu commande, cahier des charges et 50% du montant total en juillet 1993 pour démarrer le travail et lors d'une réunion à la Direction de la Culture de la Ville de Reims en septembre on me demande expressément de terminer avant la fin de l'année pour que tout soit prêt lors des manifestations du cinquantenaire du débarquement en 1994 et de la signature sans condition des armées nazies en 1995 .

De mon coté j'évoque les grandes lignes de mon projet auprès du critique et historien d'art allemand Günter Metken le 20 octobre il écrit dans le Süddeutsche Zeitung un article élogieux pour la Ville de Reims qu'il estime pertinente et courageuse.

L'article tombe sous les yeux de la veuve du Général Jodl signataire à Reims pour les armées nazies et qui fut exécuté en 1946 après son jugement au procès de Nuremberg.
Celle-ci s'émeut trouve le travail inconvenant , écrit un droit de réponse au journal ne s'arrète pas là et écrit à François Mitterand pour lui faire part de son inquiétude de voir réaliser mon travail.

"L'Elysée soucieux de rassurer la veuve du Général Jodl . . . " ( Jean Musitelli porte-parole de la présidence de la République dans le Monde du 15 février 1994 / enquête d'Harry Bellet)L' Elysée réclame une information à la préfecture de la Marne, laquelle prend contact avec la mairie de Reims. Emotion municipale il est répondu " que la municipalité n'a pas connaissance d'un tel projet artistique!"

Comme convenu mon travail est terminé dans les temps début janvier 1994 et je dois alors m'assurer des services techniques de la ville pour l'installation dans le lieu.
Le projet cafouille, l'Adjointe à la Culture de la ville de Reims Christiane Jubert et le Directeur de la Culture Jean Perrin sont injoignables. Le projet cafouille...

Inquiet de ce silence et que mon travail puisse être contesté par la veuve d'un haut dignitaire nazi; j'écris au Maire Jean Falala, qui me répond "Aucune décision remettant en cause la commande n'a été prise. Mis il m'a paru souhaitable de consulter les organisations d'anciens combattants et résistants"

Quatre associations sont consultées et même si elles ne s'extasient pas trouvent néanmoins intérressant qu'un artiste contemporain s'implique dans son travail pour une évocation de cette envergure.

Mais c'est après avoir attendu encore deux mois en avril 1994 que j'apprends en catimini que le Maire s'est finalement "rangé" à l'avis défavorable, négatif émis par les associations d'anciens combattants à nouveau consultées ! . . .
Le Directeur de Cabinet de la Mairie déclare à la chaîne de télévision allemande ZDF "Pas question pour autant de renoncer à l'oeuvre de M. Lapie. On lui trouvera une autre place, voilà tout..."
C'est par la télévision allemande que j'ai appris l'annulation de l'installation pour ce lieu.

Considérant que hors de ce lieu mon travail n'avait plus aucun sens et devant le refus de la mairie de me régler le solde , j'ai décidé de porter l'affaire en référé devant le tribunal de grande instance de Reims. Début mai 1995 au terme de son jugement, le TGI s'est rangé de mon avis, condamnant la ville de Reims à payer le solde du coût de l'oeuvre augmenté des frais et de prendre livraison de l'oeuvre dans un délai de deux mois.

Le 9 mai 1945 deux jours après Reims, les Soviétiques avaient demandé une reddition signée également sur leur front.
Mai 1995 je suis invité à Berlin par le Kûnstlerhaus-Bethanien pour réaliser une installation commémorant le 9 mai 1945 date de la signature de la reddition sur le front est à la demande des Soviétiques deux jours après Reims, je réalise une pièce intitulée "Célébration Reims-Berlin" et avec les éditions Dumerchez nous éditons un livre-catalogue évoquant les deux projets, mon histoire rémoise et de la difficulté de penser, créer et dire le passé récent.

Le Maire de Reims avait fait appel du jugement, mais s'est retiré du jugement d'appel une ou deux semaines avant par défaut. Ils ont été condamnés au frais et obligés d'enlever la pièce et d'en régler les honoraires.

La pièce n'est pas installée personne ne peut dire où elle se trouve et même si elle n'a pas été détruite.

Pour préserver mon doit moral, j'ai en novembre 1996 assigné la ville de Reims pour violation du droit d'auteur.

Christian Lapie

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