Une oeuvre de Christian Lapie mise au placard par la Mairie de Reims

2000

Technikart

Le mystère de la table escamotable


Digne de figurer parmi les plus sombres dossiers de X-Files, cet épisode politico-artistique ressemble malheureusement davantage à un lamentable sitcom à la française. Réalisée dans le cadre d'une commande publique, une table de béton, pesant plusieurs centaines de kilos, est ensuite demeurée -selon les autorités concernées- introuvable pendant plusieurs mois. Avant d'inviter à Reims mages, exorcistes et sorciers vaudous en tous genres pour qu'ils se penchent sur cet étrange mystère, un petit retour en arrière s'impose.

1992. La mairie de Reims demande à l'artiste Christian Lapie de concevoir un projet pour la salle de la rédition qui a accueilli, dans la nuit du 6 au 7 mai 1945, les représentants militaires des quatre puissances victorieuses et une délégation allemande conduite par le général Jodl. La rencontre avait pour but la signature de la capitulation allemande. Pour la commémoration de cet événement Christian Lapie propose de réaliser une réplique de la table qui avait servi lors de la signature de l'accord en question. Colorée en rose vif, cette table de béton, jumelle de la précédente, présente à sa surface des moulures en creux de pistolets d'enfants, et laisse dépasser des fers à béton. Elle évoque une table de jeu, soulignant celui de stratégie meurtrière que fut ce conflit. Le maire, Jean Falala (RPR), donne son accord. Jusque là, rien que de très normal. Mais la veuve du général Jodl -condamné à Nuremberg et exécuté comme criminel de guerre- intervient durant l'hiver 1993 auprès de l'Elysée (cf. Le Monde du 15 février 1994). La préfecture de la Marne fait alors part de son émoi à la mairie de Reims. Cette dernière, enfin, nie tout bonnement avoir passé commande de la table qui fâche alors que le cahier des charges est déjà signé. 

A la suite de cet épisode, la mairie de Reims refuse d'honorer ses engagements alors qu'elle est condamnée, en mai 1995, à régler le solde dû à l'artiste et à prendre livraison de la table. War Game, c'est son nom, ne sera pourtant jamais installée à l'emplacement prévu.

Christian Lapie assigne donc une nouvelle fois la ville pour violation du droit d'auteur et non respect du droit moral de l'artiste. Le procès est en cours.

Où se trouve aujourd'hui la fameuse table ? Il semblerait que sous la pression médiatique elle soit réapparue comme par miracle dans les réserve du musée des beaux-arts de la ville. Pourquoi n'est-elle pas exposée dans le lieu pour lequel elle a été conçue ? Les services municipaux restent très évasifs, notant sans complexe que les réserves des musées sont pleines d'oeuvres jamais exposées. Pour notre part, attacher plus d'importance à la susceptibilité de la veuve d'un criminel de guerre nazi qu'à l'engagement écrit d'un élu de la République envers un artiste vivant est une conception de l'amitié franco-allemande que nous ne partageons pas.

Fabienne Fulchéri

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